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30 nov. 2017, 17:36
Bonjour, Barbara,
Je ne suis pas étonné une demi-seconde par ce genre d'articles, ayant exercé le métier d'éducateur spécialisé, principalement auprès d'adolescents, pendant une petite vingtaine d'années, avant de changer complètement de parcours _ parce que j'avais, en très résumé, perdu le "feu sacré", celui qui permet d'encaisser l'insupportable et d'y trouver un peu de sens.
Bref.
Tout cela n'a rien de nouveau, la différence, c'est que l'on en parle davantage qu'auparavant, et que les pouvoirs publics semblent commencer à mesurer l'ampleur du problème. Avec un certain retard à l'allumage, dirons-nous, parce que ces comportements là, les adultes n'ont pas tellement envie de s'en saisir, ni même de les percevoir, et souvent, ils banalisent. Et quand bien même ils iraient au charbon, comment agir face à de tels actes? C'est très compliqué, il ne suffit pas d'aller alpaguer les sales mioches à la sortie de l'école pour les bousculer un peu _ sous peine de faire l'objet d'une plainte des parents _ pour que cela cesse. Bien au contraire, cela peut accentuer le harcèlement _ ainsi que le montre cet article: les petites crevures se foutent complètement que l'on prévienne le CPE ou le proviseur. Quant à d'éventuelles actions de prévention, elles n'ont hélas qu'un impact très limité.
Un exemple parmi d'autres, pour illustrer à quel point les adultes sont démunis: j'ai eu, un jour, à accueillir en urgence une adolescente de 15 ans qui était harcelée par une bonne partie de sa classe, à un point ahurissant: ses parents l'étaient également, y compris à leur domicile. Poubelles incendiées, boite-à-lettre défoncée, menaces téléphoniques, lettres anonymes, la totale. La gamine n'en pouvait plus, ses parents, non plus, elle avait d'ailleurs fuguée pour ne pas retourner dans son établissement scolaire, et que quelqu'un, d'une façon ou d'une autre, puisse l'aider _ ce que n'avaient fait ni l’assistante sociale scolaire, ni les autres personnels de l'éducation nationale. Les parents, quant à eux, souhaitaient déménager, mais en banlieue parisienne, ce n'est ni simple, ni facile.
Alors, qu'avons-nous fait? Ben, un signalement administratif, assorti d'un dépôt de plainte contre X, pour que l'Aide Sociale à l'Enfance accepte de soutenir les parents à moyen terme. L'adolescente également, que nous avons d'urgence exfiltré pour qu'elle intègre un autre collège, et ainsi repartir de zéro. C'était une réponse par défaut, qui ne réglait strictement rien, sur le fond: les harceleurs ont peut-être trouvé une nouvelle victime à tyranniser, et n'ont vraisemblablement pas eu à assumer les conséquences de leurs actes.
Tout cela pour affirmer qu'un sordide cocktail d'angélisme, de déni, d'aveuglement, a abouti à ce dont nous entendons régulièrement parler via de nombreux médias: zones de non-droit, bandes organisées qui font leur loi dans certains territoires (et pas seulement dans les banlieues, cela se fait aussi dans de petits villages isolés). Je ne peux qu'y voir une forme de démission collective du monde des adultes, et espérer que cela change. Mais franchement, ce n'est pas gagné, et cela risque d'être long.
Pour preuve, on évoque, depuis quelques années, la radicalisation de certains jeunes. Formidable, à ceci près que des adolescents basculant peu à peu dans des délires intégristes, j'en croisais déjà il y a 15 ans. Et à l'époque, j'étais le seul éducateur de l'association à défendre l'idée que nous ne pouvions pas nous contenter de rester dans une position "neutre". J'estimais qu'il fallait absolument aller au conflit avec ces jeunes, interroger sans concession leur certitudes idiotes, quitte à sortir du cadre "conventionnel" de l'action sociale. Ce que j'ai fait, avec des résultats à la clé. Cela nécessitait d'être très au clair _ sur un plan personnel _ à propos de mes propres certitudes, croyances, autrement dit, d'avoir un peu travaillé mon propre rapport à la spiritualité. Problème: la plupart des personnels éducatifs sont très, très loin d'avoir débroussaillé ces questionnements intimes. Alors, ils sont largués, forcément, et évitent le sujet.
Bon, trêve d’anecdotes, j'ai déjà été trop disert, et extrêmement hors-sujet sur un forum à vocation audiophile.
A+
Mahavishnu.