
A bien y regarder la carrière de Todd Phillips, elle le prédestinait à tourner cette "origin story" magistrale qu'est JOKER. Qui de mieux pour dépeindre le désordre mental à l'écran que le réal' qui fit un docu (HATED: G.G. Allin - 1993) sur le frontman extrême adepte de la violence, du hurlement, de la scarification et de la défécation issu de la scène punk hardcore U.S. ? Et avec sa trilogie HANGOVER décrivant un trio d'americanus lambda basculant dans un délire incontrôlable post biture ou encore quand il produit PROJET X (2012) qui narre l'évolution d'une petite fête estudiantine en véritable orgie de quartier virant au délire total, n'est-il pas l'homme de la situation malgré tous les doutes pré-projet ?
Mais JOKER est bien plus qu'un film de chez DC, il va bien au delà des capes et des gadgets ridicules, c'est bien simple il n'y en a pas. Ni esbroufe, ni trucages, rien de spectaculaire ici ou alors cette noirceur incroyable et la violence sèche qui sourd et éclate d'un film qui vous prend à la gorge jusqu'aux premières suffocations. Arthur Fleck (Joaquim Phoenix phénoménal) est un artiste assez misérable, vivotant de clownerie pédestre en fantasme de stand-up, trentenaire vivant encore chez maman dans un très vieil appartement dans le Gotham de 1981. Mais quand on subit continuellement brimades et humiliations, mensonges et frustrations, il arrive un moment ou le cerveau, tendu comme une corde très usée, lâche et c'est alors la porte ouverte aux idées les plus noires.
JOKER est une claque de cinéma psychologique comme il en arrive peu sur les écrans (BLACK SWAN, LE SILENCE DES AGNEAUX) et c'est d'autant plus fort qu'il raconte bien plus que cela, il pointe du doigt l'air de rien les aberrations de notre société, de notre monde actuel qui marche véritablement sur la tête. Car comment ne pas voir dans cette ville qui croule sous les ordures (Naples ou Marseille), dans cet univers qui écrase les faibles sous les fadaises des puissants, dans cet état qui coupe les subventions quitte à ne plus éduquer, ne plus soigner correctement les plus fragiles, notre monde de violences libérales où seul 1% de la population détient 99% des richesses ?
Porté de bout en bout par un Phoenix magnétique et fascinant, JOKER est une proposition surprenante et audacieuse de renouvellement d'un univers archi rebattu au cinéma. Voir dans la première moitié du film cet arc narratif totalement dingue se dissoudre grâce à un twist pervers, savourer le discours du père Wayne sur la faiblesse des porteurs de masques ou encore cette mise en place d'un rire culte et glaçant via une pathologie incontrôlable, voilà les quelques éclairs de génie que nous offre ces deux heures de cauchemar éveillé.
Finalement, tout JOKER est concentré dans ses premières images, cette ouverture où un Fleck grimaçant essai de reproduire face à son miroir les deux masques de la théâtralité grec, sourire et tristesse, jusqu'à ce qu'il énonce la définition même de son parcours: "Et dire que j'ai toujours cru que ma vie était une tragédie alors qu'elle n'est qu'une comédie !". That's life...
