Mercredi 19 mai 2010, 20h30 – Salle Gaveau à Paris
L’Europe de la viole.
Signalé par un ami chez qui je venais d'installer un nouveau système d'écoute, ce concert ne pouvait me laisser indifférent:
Jordi Savall, tout d'abord, et le programme autour de la viole. 2 raisons de se réjouir, développées plus après.
Places réservées, sans trop tarder, ces concerts étant toujours très suivis, pour de justes raisons de qualité et de plaisir.
Découverte de la salle Gaveau
salle XIX° siècle, dédiée aux concerts;
Acoustique mate (mais non feutrée). Préférer les places proches pour les musiques de chambre (décroissance du niveau sonore), mais les places les plus éloignées restent de bon niveau qualitatif.
L'Europe de la Viole:
Ensemble Hespèrion XXI:
Sur scène, de gauche à droite:
Jordi Savall, dessus de viole
Sergi Casademunt, viole de gambe ténor
Xavier Díaz-Latorre, guitare et luth
Xavier Puertas, violone
Guido Balestracci, basse de viole
Philippe Pierlot, viole de gambe & basse de viole
plus haut:
Michael Behringer, orgue & clavecin
Pedro Estevan, percussions
Nous n'avons pas le programme détaillé de la soirée, d'autant que les oeuvres jouées dans la 2° partie ont été modifiées. Nous savons néanmoins que nous avons pu entendre des oeuvres de Dowland , Gibbons, Purcell, Cabezón, Scheidt, Schein, Philidor,... (je n'ai pas noté les auteurs des oeuvres jouées en rappels)
Le concert commence par des oeuvres paisibles, mélancoliques.
Puis des pièces à l'atmosphère tout à tour dansante, familiale (ce qui semble logique pour de la musique de chambre souvent interprétée dans un cadre familial), apaisée, gaie, ...
Même entendus du fond de la salle, quels timbres d'instruments ! :
-5 instruments à cordes frottées (dessus de viole, violes, basse de viole et le violone -l'instrument qui ressemble à une contrebasse-), riches en sonorités, et cohérents en timbres (pas d'instrument qui se démarque trop en sonorité), la viole de Philippe Pierlot venant répondre au dessus de viole de Savall, proposer des accords, des variations, ou donner une structure harmonique et rythmique régulière servant de fond aux variations de Jordi Savall;
-puis le luth ou la guitare, proposant tour à tour des ramifications sonores, ou de la masse musicale qui renforce les mouvements,
-et l'orgue positif en soutien, avec ses nappes de graves, ou le léger clavecin en ciselages de variations,
-et les incontournables percussions de Pedro Estevan qui densifient le rythme, permettant et structurant le temps des cordes, du coup libérés et pouvant exprimer plus de caractères par les variations de positionnements (mini-avances et retards, qui donnent de la vie à l'interprétation, comme en jazz). Cette structuration rigoureuse, comme en jazz, permet plus facilement les improvisations, ou plutôt les ornementations proposées par les interprètes, et qui font partie des outils et des pratiques de la musique baroque.
Lamenti, voix humaines, mélopées, puis pas dansants, ou majestueux mouvements.
Les percussions sonnent résolument différemment dans cette salle de concert et dans les églises où sont enregistrés les CD de cette formation.
(montez le volume, et pensez à le rabaisser juste après)
L'enregistrement mono et de piètre qualité rend peu compte des impressions vécues en direct, il en donne cependant une idée.
(extrait sonore à venir)
Dans cet extrait, portez attention à l'échange mis en scène, dans la partition comme dans l'interprétation et sa spatialisation, des violes de Savall et Pierlot, chacun à une extrémité de la scène. Cette répartition symétrique élargit la scène sonore, et l'équilibre. L'impression d'espace est plus importante que lorsque les registres sont regroupés. On a plus le rendu du dialoque d'instruments avec ce dispositif, alors que les instruments rassemblés par famille font plus masse dans d'autres dispositions.
La simultanéité d'espacement sonore, par la position scénique large et étendue par les principaux pupitres aux extrémités, alliée à une exploration très large du spectre -des hautes notes du dessus de viole ou du luth et du clavecin, aux graves des percussions profondes et de l'orgue-, cette largeur et cette étendue marquée par plusieurs phénomènes sonores rend plus vie et force à l'interprétation des oeuvres, la vie s'y incarne plus.
Ces répons, ces échos, ces dialogues sont vraiment réjouissants à vivre en concert, et les accompagnements d'accords et de mélodies par les autres instruments ajoutent à ces plaisirs.
Quelques réserves?
Avec certaines oeuvres, l'impression de pièces plus fades. Emotion plus contenue? baisse d'enthousiasme momentané (qui ne serait que normal et non répréhensible au vu de la fréquence des concerts)? Ou bien pièces plus "sages", avec des nuances moins marquées. Ou fort contraste avec les pièces plus "enlevées". Mais ces moments restent rares.
Un regret ?
Oui, immédiat: après avoir vécu plusieurs concerts de la formation "La Chambre d'Amis" (voir les compte-rendus de concerts de cette formation), j'ai pris goût aux accompagnements didactiques qui contextualisent les époques, les oeuvres, les auteurs, et donnent quelques éléments musicaux par l'interprétation accompagnée de quelques mesures. Ces moments sont de vraies aides à entrer dans les oeuvres, les comprendre intellecturellement, les pénétrer plus émotionnellement, quand on sait leur rôle, leur histoire, certains des procédés musicaux.
Ce regret est quasi une demande. Cette manière de proposer la musique profite à tous, amateurs néophytes comme musiciens éclairés. Je n'imagine pas que Jordi Savall n'ait rien d'intéressant à transmettre qui permette de mieux saisir l'essence des oeuvres, d'entrevoir et de ressentir leur pertinence musicale et la cohérence de réponse faite par les compositeurs au problème posé.
Cette pratique n'est pas courante, souvent liée à des émissions radio ou TV, mais gagnerait à être proposée lors des présentations d'oeuvres. Surtout dans ces répertoires que Jordi Savall et tant d'autres sont allés cherchés pour les faire revivre. Il n'y a pas que les notes à apprendre d'eux.
Le voyage musical autour de la viole proposé ce soir se déroule dans l'espace, En europe, et aussi un peu dans le temps. Les atmosphères musicales sont jusqu'à classiques par moments, avec même des effets qui font penser au romantisme. Et à d'autres temps, des impressions de batailles, de marches funèbres mêmes.
Sur une des pièces m'a manqué la voix de Monserrat Figueras. Certaines ornementations ou variations réclamaient ses notes parfois puissantes et contrôlées, ses inflexions, sa tessiture. Je pense qu'il doit s'agir d'une oeuvre déjà entendue, à laquelle elle participe ordinairement.
De la même manère que certaines pièces seraient probablement moins vives sans la présence structurante et épanouissante des percussions de Pedro Estevan. Malgré l'acoustique relativement mate de la salle (et peut-être à cause d'elle), ce soutien des percussions est un allié précieux, en plus d'avoir très probablement sa justification historique sur le point de la musicologie. Sa présence fait pour moi partie des dispositifs "Savalliens", de même que la mise en espace des formations, (à moins qu'il ne s'agisse de dispositions "historiques"), et plus encore la dramatisation, la mise en scène de l'interprétation de certaines oeuvres. Avec des montées de puissance, une histoire avec ses moments, que l'on avait peu l'habitude d'entendre sur des oeuvres de ces époques, précédemment interprétées avec l'esprit du strict respect de la partition, à l'exclusion de tout autre "ouverture".
Le "renouveau" du baroque a introduit cette vie, avec une manière de faire que j'assimile à la technique de Violet le Duc en restauration des oeuvres architecturales passées: beaucoup d'études très poussées sur l'objet, de la compréhension du contexte, pour produire plus du probable, plutôt que de la stricte et stérile retranscription limitée à de ce dont on est sûrs historiquement. Et au final, cette philosophie permet de réintroduire de la vie dans ces interprétations, et d'être là au plus près de ce que ces musiques ont dû être.
Pour poursuivre: Jordi Savall sur France musique, le lendemain du concert
Savall sur France musique, le 20 mai 2010 (lien)
(cliquer à droite sur "(ré)écouter émission du jeudi 20 mai". Accessible jusqu'à 30 jours après sa date)
Dans cette émission de Lionel Esparza, Jordi Savall donne de précieux éléments sur le dernier disque Aliavox Folias Criollas, met en contexte les musiques et les oeuvres proposées, et détaille avec Alain Weber des aspects particulièrement intéressants et éclairants sur les échanges musicaux inter régions et inter pays.
Jordi Savall, lors de la séance de dédicace qui a suivi le concert
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