Vendredi 9 février 2007, au Sunset à Paris
invités: Didier MALHERBE & Bachar KHALIFE
Steve SHEHAN - percussions; Reza DERAKSHANI - voix, ney, setar, tar;
Didier MALHERBE - duduk; Bachar KHALIFE - riq, cajon;
Steve Shehan accueille le public, comme pour des amis venus chez lui. Tout au long de la soirée, il propose des chemins, installe les décors sonores, et à son tour raconte musicalement les péripéties et histoires. Il y a dans ses rythmes et ses sons, très clairement, des méharées, des rythmes de caravanes, des charges inexorables, aussi bien que des machines du XIX° siècle, des trains africains, des danses des iles, des paysages qui s'estompent, de la poussière ocre, des nuits qui tombent sur de grandes étendues...
Les instruments, décrits par ailleurs (voire les comptes rendus des autres concerts), proposent une palette très étendue de fréquences, de puissance. Ici, je découvre une grosse calebasse, faisant office de grosse caisse très descendante, dont la note peut varier en fonction de la frappe ponctuelle ou de la fermeture de l'orifice lors du jeu au pied.
Non, ce n'est pas le "bazar" de Steve: ce sont là des décors sonores, des ambiances, des contes, de puissantes évocations, de la poésie.
Reza et setar
Reza joue: rien de calculé; dès ses premières notes, il est dans son paysage, intensément, et sans transition. C'est à nous de le rejoindre, de le suivre, mais son accueil est des plus respectueux. Reza entre d'emblée dans le "Hit" musical décrit par Kerouac. La voix tisse sa trame, les volutes sonores se répandent, il puise pour nous la poésie dans son univers, dans une langue inconnue. C'est un passeur du tréfond. Reza est habité, et c'est l'instrument qui agit. Reza chante, des mélopées lancinantes, des volutes, du brouillard d'où jaillissent des notes, des accords, des sons, rapides, fulgurants parfois, électriques, surgits de ses instruments. Ce sont eux qui racontent l'histoire, les tensions, les péripéties. Eclairs, vibrations, tensions, impulsions émotionnelles. Attaques de cordes façon reptile, accords des notes et extinctions de sons, la vie est partout.
écoute, pendant que Steve installe une "boucle climatesque" sonore en début de pièce.
Majesté, très grande sensibilité, écoute, partage et échange avec les musiciens.
le kamantche de Reza, étonnamment, se raccorde en bas, à l'aide des vis de la platine, et non par les imposantes clefs en bois
Les instruments sont semble-t-il d'inspiration traditionnelle, avec des adaptations modernes (cordes, systèmes de tensions et réglages) facilitant l'usage, et les techniques de jeu sont autant académiques que d'une totale liberté. Percussions des doigts sur la table de l'instrument, interpénétration des jeux des cordes, de la voix, des frappes, il n'y a pas de partition séparée, c'est le corps entier qui exprime et joue.
Bachar ne mène pas le jeu d'emblée: il le ressent, entre très progressivement, à l'opposé de Reza. Il ressent l'essence de l'histoire, s'en nourrit, puis fait croitre ses propres rameaux, détails, accentuations, jusqu'à y apporter une force de vie robuste, concours à sa structuration, à sa richesse, harmonieuse, jamais agressive ou démonstrative.
Bachar au cajon
Délicatesse et subtilité, Bachar n'impose pas, mais accompagne et participe avec une particulière efficacité.
Bachar et Steve: légèreté et énergie, décor et paysage, une belle évocation sonore, un bel échange.
Reza, flute et voix
Là encore, jeu sensitif, non académique. Flute et voix s'entremêlent.
entrée en scène de Didier Malherbe (à l'arrière, Steve au "hang" suisse, accordé sur une gamme iranienne).
Quelques échanges de balles amicales avec Steve, fêtant les retrouvailles en terrain connu (Hijazz). Plaisir d'être là, de se retrouver, de jouer, de se surprendre par quelques excursions et chemins détournés sur la trame musicale commune, invitation à la digression,... Humanisme, poésies de la musique quand elle n'est pas des mots. Avec Didier, le jeu de Steve et la musique sont moins chthonniens et terrestres, plus attirés vers l'aérien.
Lorsque quelques instants plus tard Didier s'empare d'un instrument rythmique (bouquet de graines sèches), ce n'est pas un simple accompagnement, mais des accentuations, imprévisibles, justes, humoristiques...
Joutes poétesses et musicales avec Reza, soutenues par Steve (ici en pleine récupération d'un "instrument").
Steve à l'aquaphone, avec archet.
Mise en place du paysage sonore, à l'aide des instruments très spéciaux de Steve.
jeu à l'archet.
Les crins de cet archet sont détendus au repos, et le musicien peut à tout instant en modifier la tension lors de l'utilisation. L'archet est à son tour un instrument, inutile et boiteux seul, mais étendant la palette de jeu des cordes frottées des instruments auquel il est associé.
A l'écoute de ce concert, je perçois Steve et Reza comme 2 immenses artistes, mais aussi comme 2 maîtres de leur art, dans le sens traditionnel du terme. Mais sans disciples ni école. Totale maîtrise technique, sensibilité exacerbée, écoute. Liberté, échange, plaisir, doutes et remises en causes parfois, vite balayés par les rencontres qui leur redonnent le goût de la musique et du partage, comme c'est le cas pour la rencontre Steve - Reza. Ils associent avec plaisir à ces rencontres des amis, et de nouvelles sensibilités talentueuses (Ici Bachar, et Nicolas que l'on a vu sur la scène du Hadouk Trio).
Le concert du lendemain, le 10 février, rassuré par la tenue de celui-ci était encore plus libéré et débridé. Morceaux de blues électrique par Rezza, et autres plats savoureux.
Heureusement, il est possible d'en retrouver une partie de l'atmosphère par les extraits récemment mis à disposition sur le site de Steve. Impossible de retranscrire la qualité du son direct, mais l'ambiance transparait néanmoins. Cliquez sur le lien ci dessous, et allez à la page "Médiathèque" pour retrouver des extraits de ces 2 concerts au Sunset:
http://www.steveshehan.com
Si vous n'avez pas de hauts parleurs d'ordinateur de qualité, je vous recommande vivement l'écoute au casque pour réduire les inconvénients de la prise de son et de la compression inévitables sur ce genre de support. Essayez de voir (et d'entendre) les duos de percussions Steve et Bachar, moins dénaturés par la compression. Vous aurez une idée de ce que peuvent être la maîtrise, le partage et l'échange, sans esprit d'exploit ou de compétition, en matière de musique.
Vous pouvez retrouver les prochaines dates de concert sur ce même site.
Quelques morceaux du CD de Steve et Reza, entendus lors de ces concerts, sont disponibles sur leur CD "Elevations", accessible aussi par ce site.
Crédit photos: Enceintes et Musiques; désolé pour la qualité "amateur" des images!