Passage tôt ce matin chez un ami musicien.
Echange de nouvelles, cet ami en partance dans quelques heures pour un concert me décrit son calendrier des concerts à venir (30 billets de train/avion pour les prochains jours rangés dans l'étui de violon);
Je l'interroge sur une pétition en cours de musiciens, sur le transport des instruments dans les avions. Une vraie galère (volante): accessibilité selon le bon vouloir des compagnies, des personnels et des commandants de bord, restrictions fluctuantes et aléatoires pour les violons (quand bien même les instruments et leurs mallettes sont compatibles avec les casiers à bagages des cabines); et pour les instruments type violoncelle, c'est pour eux billet passager plein pot, sans ristournes (malgré le poids quasi nul) ni avantages (pas de générations de smiles comme avec des passagers). Impensable d'envisager le transport en soute, à moins d'apprécier le résultat prévisible à l'arrivée: des morceaux de bois en vrac dans l'étui.
Et surprise du jour: cet ami me présente l'instrument dont il envisage l'acquisition.
3 ans qu'il est à la recherche d'un violon, qui l'accompagnera durant les années à venir. Un budget est réservé à cette fin, et jalousement préservé, malgré les nécessaires récents investissements familiaux (logement, ...).
Différents violons proposés au salon Musicora, mai 2012 (photo E&M)
J'écoute donc son violon actuel, puis celui qu'il ambitionne d'acquérir.
Quelle différence ?
20.
20, c'est le rapport de valeur entre les 2 modèles, et précisément ce qui peut poser un sérieux problème, le montant de l'acquisition étant un peu supérieur au budget disponible, même en grattant les fonds de tiroirs, et en utilisant le joker "appel à la famille".
Mais ce n'est heureusement pas le seul aspect différenciant, ni le plus déterminant: ce projet d'acquisition, malgré le budget, est bien sur justifié par une réelle différence de comportement des instruments.
On a d'un coté le violon actuel, instrument moderne du XX° siècle, bon instrument, qui réagit bien au jeu, sur une palette sonore assez large, est assez puissant, offre une richesse de timbres intéressante, est fiable et précis,
et de l'autre un instrument fin XVIII°, en plutôt très bon état (2 minuscules claquages de panneaux bien réparés -l'instrument sonne comme avec absence de ces accidents mineurs, situés en plus dans des endroits non stratégiques), de la bonne production d'un facteur connu; l'instrument offre une sonorité et un comportement bien différents à l'écoute du modèle moderne actuellement utilisé.
Vrai plaisir d'éprouver et d'assister à cette présentation comparative, je vous prie de me croire. Des sentiments, des sensations de même famille que les belles écoutes comparatives d'enceintes menées la veille au soir, jusque tard dans la nuit. Sauf qu'ici, on est sur des instruments en direct: du vrai, du réellement présent, le son qui est la source même des enregistrements que l'on tente à grand peine de préserver sur les systèmes d'écoute. Sur des critères différents, bien évidemment, mais les différences étaient aussi flagrantes.
Le violon ancien, celui dont l'acquisition est projetée (et espérée) accroche, porte plus les sons, atteint l'oreille plus immédiatement. Comparativement, le violon XX° est plus doux dans les attaques. Avec le violon ancien, les sons sont plus riches, plus pleins et aérés à la fois, proposent plus d'harmoniques, et ces harmonies et timbres varient plus en fonction du niveau sonore de jeu. L'instrument porte aussi plus et plus loin dans les grandes salles (ce comportement spécifique dans les grandes salles est d'ailleurs une des caractéristiques appréciées des instruments anciens réputés, et participe à ce qui les fait apprécier plus que d'autres).
Pour imager, cet instrument propose une palette de nuances de couleurs et d'intensités beaucoup plus large, permettant des sons bruts et des modes d'expression plus variés, plus nuancés, mais aussi une "accroche sonore" plus ferme et évidente, une "bande passante ressentie" plus étendue de chaque note ou accord, un sentiment de puissance ou d'énergie plus grande, et l'ami musicien me confirme que son comportement dans les grandes salle est plus ample, plus expressif, et se déploie plus naturellement jusqu'au fond des grandes salles de concert.
Un autre instrument était présent ce matin: un autre instrument fin XVIII°, intéressant lui aussi, mais se situant plutôt à mi chemin entre le violon actuel et celui qui a retenu l'attention. Attaques et tenue de son naturel relativement "douces", quand le "grand" violon propose des sons plus vivants, sur lesquels il est plus possible de moduler un rendu.
Le violon envisagé permet une plus grande variété de rendu, une plus grande expressivité, avec des rendus toujours plus riches et nuancés, avec une micro dynamique plus perceptible et accessible.
Je retrouve là, étonné et curieux de ce rapprochement, de cette similarité de différences, ce qui avait enthousiasmé mes écoutes d'enceintes de la nuit précédente, où le nouveau modèle d'enceintes Abscisse réalisé par Jean Claude Reynaud propose de la même manière une palette d'expressivité, des dynamiques et micro dynamiques plus lisibles, précis, riches, une plus grande ampleur de restitution sur de nombreux critères de restitution.
Je comprends "l'impérieuse nécessité" du choix de cet instrument, je perçois ce qui fonde ses caractéristiques plus qu'intéressantes, qui ouvre la voie à un jeu plus dense, plus potentiellement varié et riche, permettant des interprétations elles aussi plus riches, différenciées, aux expressions potentiellement plus différentes dans les moindres détails.
Et je relativise aussi la publication d'un test récemment mené entre des instruments réputés de diverses époques, concluant que l'attrait des instruments anciens de renom était plus porté par la renommée que par le rendu sonore intrinsèque des instruments.
J'y ferai la même relativisation que le résultat des tests ABX tentés entre des électroniques pour systèmes Hifi, dont les résultats sont aussi peu différenciants avec ce type de test.
Le type même de condition de conduite de ces tests constitue à mon avis la principale raison de leur échec: le caractère très limitant des conditions d'écoute, et le processus même de différenciation, tuent dans l'oeuf la manifestation et l'effet de levier que les moindres différences opèrent sur les ressentis à l'écoute, et aboutissent à une moindre capacité de différenciation, en opposition avec d'autres types d'écoutes et d'évaluation, bien plus proches des conditions et des buts des évaluations et des pratiques musicales réelles.
(Je redis le caractère essentiel des écoutes "naturelles" pour les évaluations des rendus sonores et musicaux, sur les "détails qui changent tout", au delà des caractéristiques mesurables qui, pour les systèmes et appareils d'écoute, constituent une base de développement incontournable, mais restent insuffisantes pour ce qui concerne l'évaluation profonde des résultats en régime musical).
Violoncelles, Musicora 2012 (photo E&M)
Des instruments de bonne facture proposent des caractéristiques de rendu, des palettes expressives et des tempérament différenciés, au même titre que les éléments de retranscription, ces derniers étant supposés (et espérés) plus neutres. Mais on a jugé là non pas des couleurs, mais des possibilités d'expression, des richesses (ou non), au delà de la personnalité propre de chaque instrument, possédant inévitablement une typologie et une coloration (ou des timbres) spécifiques.
Cette expérience de vivre la progression qualitative de rendu d'un instrument à l'autre a ouvert de manière inattendue à ce parallèle et ces similitudes entre l'évaluation d'instruments de musique, et l'évaluation des éléments et appareils de systèmes d'écoute.
Les mêmes critères qualitatifs s'y retrouvent, toujours avec l'objectif de la qualité, notamment par le potentiel expressif musical, donné à l'instrumentiste pour les instruments, mis au service d'une reproduction la plus (fidèlement) expressive pour la retranscription musicale.
Beau matin que ce matin !