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Le Quatuor pour la Fin du Temps, d'Olivier Messiaen, par la formation La Chambre d'Amis: compte rendu de concert

Bien belle soirée que ce vendredi 8 février.

Les membres fondateurs de la formation (Guy Perier, Paul Radais et Sébastien Surel) nous avaient conviés pour un début de concert plus tôt que d'ordinaire, à 20h, en l'église Luthérienne de la rue Pierre Nicole dans le 5°, à Paris

A l'heure dite, en compagnie de quelques amis, habitués enthousiastes des concerts de la formation, nous attendons:
Messiaen, c'est du "spécial" pour nous: la musique du XX° siècle est en général plus délicate d'abord que les oeuvres de musique de chambre des périodes précédentes. Mais nous ne partons pas complètement craintifs, et même, nous avons un peu de curiosité: la formation La Chambre d'Amis n'a pas pour habitude de nous jeter à l'eau, ou dans le feu, ou dans de sombres forêts profondes et noires, sans sauf-conduits, viatiques, voire même guidage par système satellite.

L'intérêt est même, justement, ici, de pouvoir aborder sereinement, et en toute confiance, des oeuvres possiblement ardues ou absconses, à coup sûr rendues accessibles par l'efficace accompagnement didactique qui accompagne et précède systématiquement chaque pièce musicale programmée par la formation.

Ainsi donc, l'esprit nullement inquiété, nous attendons avec curiosité de pénétrer dans des terres pour nous inconnues, parfois redoutées quand abordées seuls et sans accompagnement ni préparation.

Le Quatuor pour la fin du temps est une oeuvre pour violon, violoncelle, clarinette et piano. Pour ces pupitres, des "serviteurs" aux taquets, qui se connaissent bien, de niveau plutôt intéressant, et, comme la soirée le confirmera, avec des "touchers" d'instruments réjouissants.

Patrick Messina Clarinette La Chambre d'Amis

Patrick Messina, clarinette. (notamment 1° clarinette solo à l'ONF depuis 2003, collaborations régulières avec les plus grands artistes en France et les plus grandes formations mondiales, pour vous dire qu'on ne se moque pas de nous). Le son de son instrument, ou plutôt le son que produit le musicien avec son instrument, est le premier à nous "cueillir" dès les premières mesures jouées, sitôt faites les présentations avec l'oeuvre, et sa contextualisation. Le son de la clarinette, à la fois riche, profond, diffus, absolument pas directif, remplit le bon volume de la salle, et nous touche profondément.

On est loin, des retranscriptions par systèmes Hifi stéréo, par cette mise en espace phénoménale avec cet instrument, et on est au dessus des meilleurs systèmes, par ces sons si riches, conjugués à l'environnement acoustique propre à la salle.

Sébastien Surel Violon La Chambre d'AmisVient ensuite, selon ma mémoire (le concert a eu lieu il y a 2 semaines), le violon de Sébastien Surel. Bon, je ne peux pas être objectif: je suis "bouleversifié" par certaines des sonorités que Sébastien Surel tire de ses violons. Bien sur, tout dépend des oeuvres, et de tout un tas de choses, y compris l'humeur et de la sensibilité de l'artiste au moment de l'interprétation, mais régulièrement, il y a comme des fulgurances dans ces sons, que je mets en parallèle avec les fameux "moments" ("hits" ?) de Kérouac (je ne me rappelle plus le terme spécifique qu'il emploie pour décrire ces moments à part), éprouvés lors de temps de concerts de jazz, au moment où les musiciens - ou l'un d'entre eux- tiennent à bout de bras un moment, des sons, un jeu, une transcendance musicale qui fait chavirer. Sébastien nous offre régulièrement de ces "moments", et ça a été le cas ce soir là, notamment sur les 7° et 8° mouvements ("Fouillis d'arcs en ciel pour l'ange qui annonce la fin des temps", et "Louange à l'immortalité de Jésus" -oui, certains pans de l'oeuvre de Messiaen sont profondément inspirées par la dramaturgie chrétienne).

Roland Pidoux La Chambre d'Amis

Le violoncelle de Roland Pidoux vient poser des jalons, des repères, des soutiens, une structure, tout autant que des jeux, soit spécifiques, soit faisant chorus (forcément dans le 6° mouvement, "Danse de la fureur, pour les 7 trompettes") avec les autres instruments.

Guy Perier "conteur" La Chambre d'Amis

Guy Périer a bien pris soin, avant l'exécution de l'oeuvre, de nous détailler (en les faisant entendre) des parties spécifiques, notamment de violoncelle, comme par exemple les mesures jouées "con Legno", avec le bois, c'est à dire avec le dos de l'archet, dont le bois frappe directement les cordes de l'instrument.

David Berdery piano La Chambre d'Amis

Découverte pour nous de David Berdery au piano. Large palette de jeu nécessaire pour sa partie sur cette oeuvre, grande variété de systèmes dynamiques, rythmiques, des sensibilités et des "humeurs", explorant des états psychologiques très extrêmes.

Le Quatuor pour la Fin du Temps est une oeuvre inspirée du chapitre X de l’Apocalypse de Saint-Jean. C'est la seule oeuvre de musique de chambre du compositeur.

Il fut écrit dans le camp d'internement allemand en Silésie, où le soldat Messiaen avait été interné, en compagnie d'instrumentistes de haut niveau. Il fut créé (= joué pour la 1° fois) en janvier 1941, par un froid sibérien, devant 500 prisonniers, sur des instruments de fortune. Messiaen tenait le piano, et ses compagnons violon, violoncelle et clarinette.

Messiaen Affiche QuatuorMessiaen a tout à la fois créé des parties spécifiques pour les instrumentistes avec lesquels il pouvait travailler, et intégré à l'oeuvre des parties composées préalablement.
L'oeuvre est préfacée, Messiaen fournit quelques éclaircissements et explications sur la composition. Ensuite, chacun des 8 mouvements est accompagné d'indications particulières. Par exemple, le 1° mouvement, "Liturgie de cristal": "bien modéré, en poudroiement harmonieux".

Alors: que produit donc l'audition de ce Quatuor ?

Et bien un grand plaisir, de vraies émotions, des choses qu'apparemment Messiaen voulait susciter. La "présence" du son des instruments, et la sensibilité des interprètes nous plongent littéralement dans les univers projetés par Messiaen. Des mouvements et parties, dont la structure de composition échappe au novice, produisent leur effet, les suites de notes, les accords et mélodies, pour lesquelles, dans ces compositions avant-gardistes de l'époque empêche toute prise de repères, nous mettent dans les états psychologiques souhaités par Messiaen, dans cette oeuvre au final lumineuse.

Mais petit bémol: si ces émotions et états d'esprit sont bien présents à l'audition de l'oeuvre en concert, comme il nous a été donné d'entendre et d'éprouver, elles sont plus difficilement accessibles à l'écoute d'enregistrements. On mesure bien là l'intérêt spécifique de la musique directe, vivante. La tension des musiciens, la concentration du public, toute une salle et un groupe de personnes tournés vers un évènement extra-ordinaire, peu de choses à voir avec une simple écoute de musique enregistrée, fut-elle de qualité.

Se rajoute à cela ce que m'en disait Guy Perier après le concert: la partition présente des accords, parfois dissonants, qui ne se résolvent, ou ne s'harmonisent que dans une acoustique de grande salle, dans les extinctions longues, et pas dans l'atmosphère acoustiquement raccourcie d'un studio d'enregistrement.

J'ai testé, tenté cette oeuvre en écoute de disque. L'un enregistré avec le compositeur lui même, au piano, et un autre, dans une acoustique nettement différente.. Vous pourrez expérimenter que l'acoustique ouverte et vaste du 2° enregistrement permet plus l'épanouissement des sons, que ce soit dans la partie clarinette du 3° mouvement, le violon du 8° mouvement, ou dans la "furie des trompettes" du 6° mouvement. (Pour les écoutes d'extraits, veillez à bien vous reporter à l'oeuvre (le Quatuor) et au mouvement concerné).

Le 6° mouvement est assez particulier, et caractéristique de Messiaen, et très XX° siècle. Il propose une chose, sur le papier, dont il y aurait peu à tirer: une mélodie de 17 notes, invariées, jouée en continu, et en chorus par les 4 pupitres. Nuances, dynamique, et tempi variés, mais la structure mélodique reste la même. En écoute concert, il se ressent une vraie tension, un vrai mouvement général, que l'on peine plus à apprécier, ou qui est moins facile d'accès en écoute disque. Encore une fois, le concert, pour ce type d'oeuvre, et si l'on n'est pas familier des musiques de cette époque, est La voie magistrale pour une découverte, et la meilleure condition pour vivre cette musique.

La Chambre d'Amis a, cette fois encore, proposé une très belle opportunité d'ouverture vers la musique du XX° siècle, servie ici de manière admirable, dans des conditions proches de l'idéal: qualité des interprètes, exécution sensible, grande proximité avec les musiciens, acoustique de salle tout à fait correcte.

Après pas mal d'écoutes de divers enregistrements et diverses interprétations proposées sur le site Qobuz, évaluées en streaming qualité CD, sur un système de bonne constitution (Desktop Qobuz sur ordinateur, interconnect FireWire/AES-EBU Weiss, DAC/ampli I Millénium de 3D LAB, enceintes JMR Orféo et EMP2), j'ai retenu 2 propositions:

-un enregistrement fait sous direction de Messiaen lui même, officiant au piano, et un autre, dont l'acoustique de salle et d'enregistrement m'a paru correspondre le mieux à ce que l'on a vécu en concert ce 8 février. Les autres enregistrements se situant à mon écoute en deçà, soit par l'interprétation ou par les impressions proposées, soit comme dans l'enregistrement de Messiaen par l'acoustique trop "studio", proposant un espace trop restreint, ne permettant pas l'aboutissement des sonorités des instruments, assez indispensables pour le "sens" de cette oeuvre particulièrement expressive.

Les "players" ci dessous permettent d'écouter des extraits en qualité MP3 320 kbps.

Pour se faire une vraie idée, il faut dans l'idéal écouter les pistes en qualité CD, possible ici soit par achat (possibilité d'achat "à la piste"), soit sur l'abonnement Qobuz Classique ou Qobuz streaming illimité".

Photos de l'article: Enceintes et Musiques.